Syrie: Plainte à l’ombudsman de Radio-Canada contre la propagande de guerre de Christian Latreille

Illustration: Anthony Freda

Wuxi, Jiangsu, Chine, le 16 avril 2018

Objet : Plainte relative à l’article de Christian Latreille « Trump n’a pas de plan » publié le 13 avril 2018

Monsieur Guy Gendron, Bureau de l’ombudsman Radio-Canada C.P. 6000 Montréal (Québec) H3C 3A8

Monsieur,

Christian Latreille a publié de fausses informations dans son article Trump n’a pas de plan le 13 avril dernier.

Il écrit :

« Depuis la dernière attaque des États-Unis sur la Syrie, il y a 12 mois, le président Assad a utilisé à au moins trois reprises des armes chimiques sans riposte américaine. »

Il fait référence aux attaques suivantes en 2018 : le 22 janvier dans la Ghouta orientale; le 5 février à Saraqeb; le 7 avril à Douma.

Au moment où Christian Latreille écrivait son article le 13 avril, à peine 6 jours après l’attaque du 7 avril, il n’existait aucune preuve qu’« Assad a utilisé des armes chimiques ». Il ne s’agit encore à ce jour que d’allégations, lesquelles proviennent des Casques blancs et de la Syrian American Medical Society (SAMS).

Les Casques blancs ont été fondés par un ancien agent du renseignement britannique, James Le Mesurier, et ceux-ci ne travaillent que dans les zones dites rebelles, aux côtés de groupes djihadistes. Ils sont financés, entre autres, par le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. Cette information est disponible sur leur site web. La SAMS, elle, est financée par USAID, son siège social est à Washington, elle œuvre dans les zones « rebelles », dont Idlib, contrôlée par Al-Qaïda, et elle est ouvertement en faveur d’une intervention militaire et d’un changement de régime en Syrie.

En entrevue à The Real News, toujours le 13 avril, Alfred-Maurice de Zayas, l’expert indépendant des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a déclaré :

« Comment peut-on aller en guerre sur la base de preuves aussi légères, ou, l’on pourrait même dire, en l’absence totale de preuve? Nous n’avons que des allégations. »

En ce qui a trait aux attaques du 5 février et du 22 janvier 2018, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie n’a toujours pas publié de rapports d’enquête et son dernier communiqué de presse, daté du 13 avril dernier, traite de l’« usage présumé d’armes chimiques dans la Ghouta orientale  » et spécifie que « diverses parties » ont eu recours à des armes chimiques dans le conflit syrien.

Christian Latreille affirme pourtant avec certitude qu’« Assad a utilisé des armes chimiques à au moins trois reprises » et qu’il est responsable de toutes ces attaques alors que ce ne sont que des allégations et qu’aucune enquête ne l’a démontré.

Alfred-Maurice de Zayas, a par ailleurs déclaré que toute riposte étasunienne serait illégale aux yeux du droit international, ce que semble ignorer Christian Latreille, lequel déplore « l’absence totale de stratégie en Syrie », ce qui signifie implicitement l’absence d’intervention militaire.

L’absence des États-Unis sur le terrain en Syrie a selon lui « permis aux Russes et aux Iraniens d’occuper tout le terrain. Ces deux pays ont surtout permis au régime Assad de se maintenir au pouvoir. Ce dernier contrôle maintenant la majeure partie de son territoire ».

La Russie et l’Iran sont sur le terrain en toute légalité puisqu’ils ont été invités par le gouvernement syrien, ce qui n’est pas le cas des États-Unis.

Les États-Unis, comme tous les autres pays, ont un devoir de neutralité dans une guerre civile. La seule exception permettant à des puissances étrangères d’intervenir dans une guerre civile est à l’invitation du pays en guerre. La Russie et l’Iran respectent donc le droit international en intervenant à la demande du gouvernement syrien.

En outre, qu’un gouvernement légitime contrôle son territoire est tout ce qu’il y a de plus légal. Cet article laisse entendre le contraire en donnant l’impression que les États-Unis devraient « occuper le terrain » au lieu de laisser la place aux Russes et aux Iraniens et empêcher le gouvernement Syrien d’occuper son territoire, comme si cette stratégie était légale.

M. Zayas cite les deux exceptions dans la Charte des Nations Unies permettant l’usage de la force : en cas de légitime défense (Article 51) et lorsque le Conseil de Sécurité juge qu’il existe une menace contre la paix internationale ou une rupture de celle-ci (Article 39).

Les affirmations de Christian Latreille concernant les armes chimiques et son analyse de la situation en Syrie constituent de graves manquements à l’éthique journalistique. Le journaliste contrevient à l’Article 3 a) du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, lequel stipule :

« Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. Ils doivent corriger leurs erreurs avec diligence et de façon appropriée au tort causé. »

Rapporter de fausses informations et suggérer que les États-Unis devraient intervenir en Syrie contrevient également à plusieurs Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada :

« Servir l’intérêt public : Notre mission est d’informer, de révéler, de contribuer à la compréhension d’enjeux d’intérêt public et d’encourager la participation des Canadiens à notre société libre et démocratique. »

En publiant de fausses informations et en laissant entendre que les États-Unis devraient mener une guerre illégale en Syrie, Christian Latreille désinforme le public et contribue à l’incompréhension d’un enjeu d’intérêt public de taille, soit une guerre illégale.

 « Agir de façon responsable : Nous sommes conscients des conséquences de notre travail journalistique et de notre devoir d’honnêteté auprès des auditoires. Nous n’hésitons pas à corriger une erreur, si nécessaire, ni à effectuer un suivi lorsqu’une situation évolue de façon importante. »

Christian Latreille n’agit pas de façon responsable et Radio-Canada est tout aussi irresponsable en publiant cette désinformation puisqu’elle a des conséquences tragiques : nos élus se fient au service public d’information pour s’informer sur l’actualité internationale et prendre des décisions cruciales, lesquelles peuvent avoir des répercussions désastreuses. Par exemple, la décision du premier ministre Justin Trudeau d’appuyer les frappes militaires illégales des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France en Syrie, est due en grande partie à la désinformation médiatique à laquelle participent Christian Latreille et Radio-Canada.

Que les mensonges propagés par Christian Latreille soient répétés par des chefs d’État, toujours sans aucune preuve et contre toute logique, ne constitue pas une circonstance atténuante, mais, au contraire rend la faute plus grave, car c’est la fonction des médias sérieux d’informer et non de répéter les mots d’ordre politiques.

« Exactitude: Nous recherchons la vérité sur toute question d’intérêt public. Nous déployons les efforts nécessaires pour recueillir les faits, les comprendre et les expliquer clairement à notre auditoire. »

L’article de Christian Latreille ne démontre aucun effort « pour recueillir les faits, les comprendre et les expliquer à [l’]auditoire ».

« Impartialité: Notre jugement professionnel se fonde sur des faits et sur l’expertise. Nous ne défendons pas un point de vue particulier dans les questions qui font l’objet d’un débat public. »

Le jugement de Christian Latreille est visiblement partial et non professionnel. Il démontre clairement un biais en faveur des États-Unis en prônant leur présence militaire illégale en Syrie et manifeste un manque total d’expertise sur les questions concernant le droit international et les interventions militaires.

Toute intervention militaire sans mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU est illégale et constitue une guerre d’agression, le crime suprême en droit international. Or, cette information essentielle à la compréhension du conflit syrien brille par son absence dans l’analyse de Christian Latreille.

Des précédents : informations cruciales à la compréhension de la guerre en Syrie 

Il convient de rappeler certains faits importants sur la question des armes chimiques.

Carla del Ponte s’est retirée de l’enquête de l’ONU sur la Ghouta « en guise de protestation contre le refus des États-Unis de permettre une enquête complète sur les allégations de l’utilisation d’armes chimiques par les ʺrebellesʺ (djihadistes) » appuyés  et armés, entre autres par les États-Unis dans leur tentative de renverser le gouvernement syrien. L’appui des États-Unis aux « rebelles » en Syrie, lesquels sont composés en majorité de groupes djihadistes (voir mémo de la DIA ci-dessous) est amplement documenté. Une simple recherche sur Google permet d’accéder à ces informations.

Plus récemment, le secrétaire à la Défense James Mattis, affirmait le 2 février dernier que les États-Unis « n’ont aucune preuve qu’Assad a utilisé du gaz sarin » contre son peuple.

Cette déclaration donne du poids aux critiques du rapport de l’ONU sur Khan Cheikhoun publié en septembre dernier. Plusieurs experts des armes chimiques dont Hans Blix, Scott Ritter et Theodore Postol, et les journalistes de renom Seymour Hersh et Gareth Porter ont émis des doutes quant à la culpabilité du gouvernement syrien.

Porter a documenté comment l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a violé son propre protocole en n’assistant pas à la collecte des échantillions de preuve, fournis par les Casques blancs.

Le vétéran de l’Armée étasunienne et ancien contractuel de la communauté du renseignement Ian Wilkie a lui aussi émis des doutes sur la culpabilité du gouvernement syrien et critiqué la collecte des échantillions de preuve par les Casques blancs :

« Se fier à quoi que ce soit fourni par les Casques blancs revient à ce que nous, les avocats, appelons partager le fruit d’un arbre empoisonné. »

À la suite de la déclaration de Mattis, il expliquait dans Newsweek  :

« Cette affirmation va à l’encontre du mémo de la Maison-Blanche écrit rapidement et déclassifié afin de justifier des frappes étasuniennes de missiles Tomahawk contre la base aérienne d’Al-Chaayrate […] Cela signifie que l’événement de Khan Cheikhoun en 2017 et la tragédie de la Ghouta en 2013 sont des cas non résolus pour le département de la Défense et l’Agence du renseignement de la Défense (DIA). Mattis a poursuivi en reconnaissant que « des groupes d’aide et d’autres » avaient fourni des preuves et des rapports, mais n’est pas allé jusqu’à accuser Assad d’être coupable. »

Les autorités britanniques et américaines ont menti au sujet des armes de destruction massives en 2003 afin de justifier l’invasion illégale de l’Irak. Cela est bien connu et démontre que les gouvernements mentent afin de manipuler l’opinion publique et de justifier des interventions militaires.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui ont récemment attaqué illégalement la Syrie sur la base d’allégations, ont également menti afin d’intervenir militairement en Libye en 2011.

En 2016, le Parlement britannique a publié un rapport accablant sur la guerre de Libye concluant qu’elle avait été menée sur la base de mensonges.

Sachant cela, le devoir de tout journaliste est de douter de toutes les déclarations de ces autorités lorsqu’elles tentent de justifier des interventions militaires illégales, non pas de les répéter comme étant des faits vérifiables et vérifiés.

Le rapport britannique concluait « que le gouvernement britannique n’a pas reconnu que la menace contre les civils était exagérée et que les rebelles comportaient un élément islamiste significatif ».

On peut toutefois douter de l’ignorance des parlementaires en ce qui concerne l’élément islamiste puisque Benghazi, là où a pris naissance le soulèvement armé, figure comme lieu de résidence important des combattants étrangers d’Al-Qaïda en Irak dans un document de l’Académie militaire de West Point aux États-Unis et publié en 2010, Al-Qa’ida’s Foreign Fighters in Iraq :

« La vaste majorité des combattants libyens […] résidaient dans le nord-est du pays, particulièrement dans les villes côtières de Derna 60,2 % et Benghazi 23,9 % »

Le New York Times rapportait en 2012 :

« Dans les mois qui ont suivi le début de la révolution libyenne en février 2011, la CIA a commencé à établir une présence clandestine quoique significative à Benghazi, lieu central des efforts rebelles visant à chasser le colonel Kadhafi. »

Soulignons que les services de renseignement étasuniens ont « aidé à sécuriser les stocks d’armes chimiques de la Libye ».

En 2012, CNN rapportait qu’un « haut représentant étasunien et plusieurs diplomates ont déclaré à CNN […] que les États-Unis et certains alliés européens emploient des entrepreneurs œuvrant dans le domaine de la Défense afin de montrer aux rebelles syriens comment sécuriser des stocks d’armes chimiques en Syrie ».

Il existe par ailleurs un document daté de 2012 de la Defense Intelligence Agency, l’agence qui chapeaute les services de renseignement étasuniens, où il est clairement indiqué que les pays occidentaux appuient l’opposition en Syrie, laquelle comprend Al-Qaïda en Irak, et souhaitent qu’une principauté salafiste soit établie en Syrie afin de renverser Assad :

« Situation générale :

[…] B. Les salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak sont les forces majeures menant l’insurrection en Syrie.

L’Occident, les pays du Golfe et la Turquie appuient l’opposition alors que la Russie, la Chine et l’Iran appuient le régime […]

[…] il est possible qu’une principauté salafiste déclarée ou non soit établie dans l’est de la Syrie (Hassaké et Deir ez-Zor), et c’est exactement ce que souhaitent les puissances appuyant l’opposition afin d’isoler le régime […] »

En résumé, les Occidentaux savaient qu’ils s’alliaient à des groupes djihadistes et en Libye et en Syrie et dans les deux cas ils ont aidé ces groupes à sécuriser des armes chimiques. Lorsque l’ONU a voulu enquêter sur les allégations d’utilisation d’armes chimiques par les « rebelles » en Syrie, les États-Unis ont refusé qu’il y ait enquête complète.

À la lumière de ce qui précède et sachant que « diverses parties » dans le conflit syrien ont employé des armes chimiques, selon la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, toutes les allégations précipitées accusant le gouvernement syrien d’être responsable d’attaques à l’arme chimique, surtout si elles proviennent des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, doivent être traitées avec scepticisme.

Christian Latreille, n’a fait preuve d’aucun scepticisme face aux allégations voulant qu’Assad ait employé des armes chimiques et en prônant implicitement une intervention militaire illégale, il fait de la propagande de guerre, interdite par l’Article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies en 1976 :

« Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. »

Je demande donc que Christian Latreille :

  • corrige ces erreurs;
  • soit réprimandé pour avoir fait de la propagande de guerre et pour ses graves manquements à l’éthique journaliste et aux Normes et pratiques de Radio-Canada;
  • soit relevé de ses fonctions de correspondant à Washington pour la société d’État puisqu’il ne possède ni l’expertise, ni la rigueur qu’exige un tel poste.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Julie Lévesque

4 commentaires sur “Syrie: Plainte à l’ombudsman de Radio-Canada contre la propagande de guerre de Christian Latreille

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  1. C’est quoi déjà l’expression… « répétez un mensonge assez de fois et ça en devient une vérité ». Les tactiques de monsieur Latreille et des médias de l’ouest

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    1. Exactement! Vieille tactique qui fonctionne toujours, malheureusement. Je vais m’autociter puisque je suis tombée sur un de mes vieux articles en cherchant une citation :

      « Dans sa plus simple expression, la propagande consiste à affirmer une chose, la répéter et la propager [3]. Reconnu pour ses prouesses en la matière, Joseph Goebbels, ministre nazi de l’information et de la propagande disait ceci :

      ʺÀ force de répétition et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle. Car après tout, que sont « cercle » et « carré » ? De simples mots. Et les mots peuvent être façonnés jusqu’à rendre méconnaissables les idées qu’ils véhiculent [4].ʺ »

      https://www.mondialisation.ca/11-septembre-psychologie-des-foules-et-propagande/19008

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