Méfiez-vous des apparences. L’article suivant est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Toutefois, la couverture des événements en Syrie est devenue si ridicule qu’il est difficile de ne pas sombrer dans la satire l’espace d’un instant.
Christian Latreille est correspondant de Radio-Canada à Washington et champion de la désinformation. Il répète mot pour mot ce qui sort de la bouche des autorités étasuniennes, propos qui, plus souvent qu’autrement, sont bons pour la poubelle.
Le niveau de désinformation dans son dernier article est tel que l’on peut se demander si, dans des circonstances nébuleuses, la définition de tâches d’un correspondant à Washington pour la société d’État a été substituée par celle d’éboueur. Un éboueur fait la cueillette des ordures ici et va les porter là. Christian Latreille ramasse les vidanges à la Maison-Blanche et vient les dumper chez-nous. Same same but different, comme disent les Thaïlandais. Sauf que contrairement à un correspondant de Radio-Canada à Washington, un éboueur fait un travail qui rend service à la société. Christian Latreille rend service au complexe militaro-industriel et à l’Empire américain, le « plus grand pourvoyeur de violence dans le monde », dixit Martin Luther King.
En une seule phrase, Christian Latreille réussit à désinformer le public sur 3 événements dans son article Trump n’a pas de plan publié le 13 avril dernier :
« Depuis la dernière attaque des États-Unis sur la Syrie, il y a 12 mois, le président Assad a utilisé à au moins trois reprises des armes chimiques sans riposte américaine. »
Le correspondant de Radio-Canada à Washington fait référence aux attaques suivantes en 2018 : le 22 janvier dans la Ghouta orientale; le 5 février à Saraqeb; le 7 avril à Douma.
Au moment où Christian Latreille écrivait son article le 13 avril, à peine 6 jours après l’attaque du 7 avril, il n’existait aucune preuve qu’« Assad a utilisé des armes chimiques ». Il ne s’agit encore à ce jour que d’allégations. Et d’où viennent ces allégations? Des Casques blancs, fondés par un ancien agent du renseignement britannique et lesquels ne travaillent que dans les zones dites rebelles, c’est-à-dire aux côtés de groupes djihadistes, et de la Syrian American Medical Society (SAMS), financée par USAID et dont le siège social est à Washington. La SAMS travaille dans les zones « rebelles », dont Idlib, contrôlée par Al-Qaïda, et est ouvertement en faveur d’une intervention militaire et d’un changement de régime en Syrie.
En entrevue à The Real News, toujours le 13 avril, Alfred-Maurice de Zayas, l’expert indépendant des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a déclaré que toute riposte étasunienne serait illégale aux yeux du droit international, ce que semble ignorer Christian Latreille, lequel déplore « l’absence totale de stratégie en Syrie », ce qui semble vouloir dire, l’absence d’intervention militaire.
Zayas cite les deux exceptions dans la Charte des Nations Unies permettant l’usage de la force : en cas de légitime défense (Article 51) et lorsque le Conseil de Sécurité juge qu’il existe une menace contre la paix internationale ou une rupture de celle-ci (Article 39).
Concernant l’attaque du 7 avril, il déclare :
« Comment peut-on aller en guerre sur la base de preuves aussi légères, ou, l’on pourrait même dire, en l’absence totale de preuve? Nous n’avons que des allégations. »
Pour Christian Latreille, on dirait que le droit international est tout aussi inexistant que les preuves qu’« Assad a utilisé des armes chimiques ». L’absence des États-Unis sur le terrain en Syrie a selon lui « permis aux Russes et aux Iraniens d’occuper tout le terrain. Ces deux pays ont surtout permis au régime Assad de se maintenir au pouvoir. Ce dernier contrôle maintenant la majeure partie de son territoire ».
Le correspondant de Radio-Canada à Washington ne semble pas savoir que la Russie et l’Iran sont sur le terrain en toute légalité puisqu’ils ont été invités par le gouvernement syrien, ce qui n’est pas le cas des États-Unis.
Par ailleurs, qu’un gouvernement légitime contrôle son territoire est tout ce qu’il y a de plus légal. Cet article laisse entendre le contraire en donnant l’impression que les États-Unis devraient « occuper le terrain » au lieu de laisser la place aux Russes et aux Iraniens et empêcher le gouvernement Syrien d’occuper son territoire, comme si cette stratégie était légale.
En ce qui a trait aux attaques du 5 février et du 22 janvier 2018, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie n’a toujours pas publié de rapports d’enquête et son dernier communiqué de presse, daté du 13 avril dernier, traite de l’« usage présumé d’armes chimiques dans la Ghouta orientale » et spécifie que « diverses parties » ont eu recours à des armes chimiques dans le conflit syrien. Comment Christian Latreille peut-il affirmer sans équivoque que Bachar Al-Assad est responsable de toutes ces attaques? À ce stade-ci, une telle affirmation n’est rien d’autre que de la désinformation, voire une fausse nouvelle.
Déclaration choc de James Mattis : Christian Latreille est-il au courant?
Par ailleurs, bien qu’il soit à Washington, il semble que le journaliste radio-canadien ait complètement loupé la déclaration du secrétaire à la Défense James Mattis, lequel affirmait le 2 février dernier que les États-Unis « n’ont aucune preuve qu’Assad a utilisé du gaz sarin » contre son peuple.
Cette déclaration donne du poids aux critiques du rapport de l’ONU sur Khan Cheikhoun publié en septembre dernier. Plusieurs experts des armes chimiques dont Hans Blix, Scott Ritter et Theodore Postol, et les journalistes de renom Seymour Hersh et Gareth Porter ont émis des doutes quant à la culpabilité du gouvernement syrien.
Porter a documenté comment l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a violé son propre protocole en n’assistant pas à la collecte des échantillions de preuve, fournis par, eh oui, les Casques blancs.
Le vétéran de l’Armée étasunienne et ancien contractuel de la communauté du renseignement Ian Wilkie a lui aussi émis des doutes sur la culpabilité du gouvernement syrien et critiqué la collecte des échantillions de preuve par les Casques blancs :
« Se fier à quoi que ce soit fourni par les Casques blancs revient à ce que nous, les avocats, appelons partager le fruit d’un arbre empoisonné. »
Suite à la déclaration de Mattis, il expliquait dans Newsweek :
« Cette affirmation va à l’encontre du mémo de la Maison-Blanche écrit rapidement et déclassifié afin de justifier des frappes étasuniennes de missiles Tomahawk contre la base aérienne d’Al-Chaayrate […] Cela signifie que l’événement de Khan Cheikhoun en 2017 et la tragédie de la Ghouta en 2013 sont des cas non résolus pour le département de la Défense et l’Agence du renseignement de la Défense (DIA). Mattis a poursuivi en reconnaissant que « des groupes d’aide et d’autres » avaient fourni des preuves et des rapports, mais n’est pas allé jusqu’à accuser Assad d’être coupable. »
Rappelons que Carla del Ponte s’est retirée de l’enquête de l’ONU sur la Ghouta « en guise de protestation contre le refus des États-Unis de permettre une enquête complète sur les allégations de l’utilisation d’armes chimiques par les « rebelles » (djihadistes) alliés des États-Unis » dans leur tentative de renverser le gouvernement syrien. (op. cit. Wilkie)
Les États-Unis et leurs alliés se sont également empressés d’accuser Assad au lendemain de l’attaque de Khan Cheikhoun affirmant qu’ils détenaient des preuves de sa culpabilité. Presqu’un an plus tard, la déclaration de James Mattis démontre clairement qu’ils ont menti à la communauté internationale.
Concernant l’attaque du 7 avril dernier, James Mattis affirmait le 12 avril :
« Je crois qu’il y a eu une attaque chimique. Nous cherchons de véritables preuves […] Je ne peux pas vous dire que nous avons des preuves, même si nous avons beaucoup de médias et de médias sociaux indiquant que du chlore ou du sarin a été utilisé. »
Le lendemain la Maison-Blanche et le département d’État déclaraient « estimer avec un haut niveau de confiance » que le régime avait utilisé du gaz toxique à Douma. Le 14 avril, l’ambassade de la France à Washington publiait un rapport qui, selon le Nouvel Obs, « justifie les frappes françaises », un titre qui démontre à nouveau le niveau d’ignorance alarmant du droit international dans les grands médias.
Les services français en sont venus à cette conclusion :
« Nous estimons avec un haut niveau de confiance qu’elles [les attaques] sont le fait du régime syrien. »
Comment en sont-ils venus à cette conclusion? Comme les États-Unis et le Royaume Uni, qui ont eux aussi un « haut niveau de confiance » en la culpabilité du régime : en regardant YouTube :
« Les témoignages, photos et vidéos apparus sur internet et dans la presse ont été épluchés par les services français, qui concluent :
-
“L’examen des vidéos et images montrant des victimes et mises en ligne ont permis de conclure avec un haut degré de confiance que la grande majorité est de facture récente et ne relève pas d’une fabrication.
-
La nature spontanée de la mise en circulation des images sur l’ensemble des réseaux sociaux confirme qu’il ne s’agit pas d’un montage vidéo ou d’images recyclées.
-
Enfin, une partie des entités ayant publié ces informations est reconnue comme habituellement fiable.” »
Jugez par vous-même si l’examen de vidéos de victimes sur YouTube, la nature de leur mise en circulation et le fait qu’elles aient été publiées par des opposants du gouvernement syrien permet de conclure que ce dernier a commis les attaques.
C’est un peu comme si on prenait deux voisins qui se détestent, appelons-les Maurice et Bertrand : Maurice filme l’intérieur de sa maison après un présumé cambriolage et affirme que cela prouve que le coupable, c’est Bertrand. Il va voir le bully du village, Roger, lui montre sa vidéo et lui dit: « Tu vois ben que ma fenêtre est cassée pis que ma tévé a été volée! C’est Bertrand le coupable, j’te dis. » Roger, très articulé pour un bully, va voir sa gang et dit: « J’ai un haut niveau de confiance que c’est Bertrand le coupable, Maurice m’a montré une vidéo de sa fenêtre cassée et sa télévision a disparu. Allons lui casser la gueule à ce Bertrand. » Et le lendemain, le journal local titre: « Les preuves de Roger justifient qu’il ait cassé la gueule à Bertrand ».
Vous trouvez cette analogie ridicule? En effet, mais la réalité est d’un ridicule encore plus désarmant.
Un « haut niveau de confiance », ne constitue pas une preuve et ce choix de mots n’est pas le fruit du hasard. Les mêmes termes ont été employés lors des attaques de Khan Cheikhoun, pour lesquelles il n’y a toujours pas de preuves un an plus tard, comme l’a admis James Mattis.
Il s’agit fort probablement encore de mensonges voués à galvaniser l’opinion publique en faveur d’une intervention militaire illégale et précipitée, afin d’éviter qu’une véritable enquête ait lieu.
Irak, Libye, Syrie : une litanie de mensonges
Les gouvernements des États-Unis et du Royaume Uni ont menti afin d’intervenir en Irak et la France s’est joint à eux pour mentir sur la guerre de Libye et sur la Syrie (Khan Cheikhoun). Si les mensonges à propos des armes de destruction massive en Irak sont de notoriété publique, ceux qui ont mené à l’intervention en Libye le sont moins.
En 2016, le Parlement britannique a publié un rapport accablant sur la guerre de Libye concluant qu’elle avait été menée sur la base de mensonges.
On y trouve un document obtenu par la loi d’accès à l’information relatant une conversation entre Sidney Blumenthal, conseiller de la secrétaire d’État étasunienne de l’époque Hillary Clinton, et l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Selon ce document, Sarkozy avait les motifs suivants pour intervenir en Libye :
- Le désir de se tailler une part plus importante de la production de pétrole libyenne
- Accroître l’influence française en Afrique du Nord
- Améliorer sa situation politique en France
- Offrir à l’armée française la chance de réaffirmer sa position dans le monde
- Aborder les inquiétudes de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi visant à remplacer la France comme puissance dominante en Afrique francophone.
Parmi les motifs de Sarkozy, notons que « protéger les civils » brille par son absence. (Pour plus de détails sur la désinformation concernant la Libye, voir Radio-Canada ne vérifie pas avant de publier des fausses rumeurs, en voici une démonstration.)
Peu après la mort de Kadhafi, Le Figaro rapportait qu’en effet, la redistribution du pétrole libyen pourrait favoriser la pétrolière française Total :
« La chute du régime Kadhafi devrait contribuer à la reprise des exportations d’or noir du pays. Total et Eni pourraient en profiter. »
Le rapport britannique concluait « que le gouvernement britannique n’a pas reconnu que la menace contre les civils était exagérée et que les rebelles comportaient un élément islamiste significatif ».
On peut toutefois douter de l’ignorance des parlementaires puisque Benghazi, là où a pris naissance le soulèvement armé, figure comme lieu de résidence important des combattants étrangers d’Al-Qaïda en Irak dans un document de l’Académie militaire de West Point aux États-Unis et publié en 2010, Al-Qa’ida’s Foreign Fighters in Iraq :
« La vaste majorité des combattants libyens […] résidaient dans le nord-est du pays, particulièrement dans les villes côtières de Derna 60,2 % et Benghazi 23,9 % »

Le New York Times rapportait en 2012 :
« Dans les mois qui ont suivi le début de la révolution libyenne en février 2011, la CIA a commencé à établir une présence clandestine quoique significative à Benghazi, lieu central des efforts rebelles visant à chasser le colonel Kadhafi. »
Il convient de noter que les services de renseignement étasuniens ont « aidé à sécuriser les stocks d’armes chimiques de la Libye ».
En 2012, CNN rapportait qu’un « haut représentant étasunien et plusieurs diplomates ont déclaré à CNN […] que les États-Unis et certains alliés européens emploient des entrepreneurs œuvrant dans le domaine de la Défense afin de montrer aux rebelles syriens comment sécuriser des stocks d’armes chimiques en Syrie ».
Il existe par ailleurs un document daté de 2012 de la Defense Intelligence Agency, l’agence qui chapeaute les services de renseignement étasuniens, où il est clairement indiqué que les pays occidentaux appuient l’opposition en Syrie, laquelle comprend Al-Qaïda en Irak, et souhaitent qu’une principauté salafiste soit établie en Syrie afin de renverser Assad :
« Situation générale :
[…] B. Les salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak sont les forces majeures menant l’insurrection en Syrie.
-
L’Occident, les pays du Golfe et la Turquie appuient l’opposition alors que la Russie, la Chine et l’Iran appuient le régime […]
-
C. […] il est possible qu’une principauté salafiste déclarée ou non soit établie dans l’est de la Syrie (Hassaké et Deir ez-Zor), et c’est exactement ce que souhaitent les puissances appuyant l’opposition afin d’isoler le régime […] »
En résumé, les Occidentaux savaient qu’ils s’alliaient à des groupes djihadistes et en Libye et en Syrie et dans les deux cas ils ont aidé ces groupes à sécuriser des armes chimiques. Lorsque l’ONU a voulu enquêter sur les allégations d’utilisation d’armes chimiques par les « rebelles » en Syrie, les États-Unis ont refusé qu’il y ait enquête complète.
Sachant cela et sachant que « diverses parties » dans le conflit syrien ont employé des armes chimiques, selon la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, toutes les allégations précipitées accusant le gouvernement syrien d’être responsable d’attaques chimiques doivent être traitées avec scepticisme.
Affirmer qu’Assad est responsable de toutes les attaques commises depuis celle de Khan Cheikhoun sur la base d’allégations provenant de l’opposition et alors qu’aucune enquête ne l’a conclu constitue un grave manquement à l’éthique journalistique.
Christian Latreille contrevient donc à l’Article 3 a) du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec lequel stipule :
« Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. Ils doivent corriger leurs erreurs avec diligence et de façon appropriée au tort causé. »
M. Latreille manifeste une incompréhension des enjeux et une ignorance totale des faits ou il fait sciemment de la propagande de guerre, interdite par l’Article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies en 1976 :
- Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi.
Christian Latreille doit donc corriger ces graves erreurs.
Madame, je vous adore…
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Contente de lire ça!
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Magnifique analogie et analyse.
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Merci, arrêtez, vous me gênez avec vos compliments 🙂
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