Jeff Yates, le détecteur de fausses nouvelles de Radio-Canada, s’avère être une source intarissable d’inspiration pour le Tribunal de l’infaux.
Jeff publiait récemment l’article Les gens ne vérifient pas avant de partager sur Facebook, en voici une démonstration où il nous parle d’un stupide canular.
Dans une vidéo, un Québécois prétend être « un Français né avec l’accent québécois » et le démontre en étalant, entre autres, sa prononciation parfaite de tabarnac, tourtière et balenne (sic).

C’est tellement con que c’est drôle. Bel attrape-nigaud, sans aucune importance ni aucun impact dramatique.
« En 24 heures, la vidéo atteint 100 000 vues, 1200 “j’aime” et plus de 150 partages », note le « spécialiste de la désinformation », selon la FPJQ.
Il conclut :
Que les gens se fassent avoir par un canular aussi comique, ce n’est rien de grave (pour vrai, l’idée du canular était géniale). Mais ça démontre assez bien le peu d’efforts que consacrent les internautes à la vérification avant de partager. Se renseigner sur la provenance d’une image ou d’une vidéo avant de la partager, c’est la base. Un petit cinq secondes aurait permis à quiconque de se rendre compte du pot aux roses.
D’abord, comment l’auteur fait-il pour savoir si le gens se sont réellement faits avoir en partageant ou s’ils ont juste partagé parce qu’ils trouvaient ça drôle? On mesure ça comment? Et comment fait-il pour s’assurer que ceux qui ont commenté se sont vraiment faits avoir? Est-il aussi spécialiste de l’ironie?
Cela dit, si Jeff Yates passait autant de temps à traquer la vraie désinformation, il serait tellement plus utile à la société. Que l’argent de nos impôts serve à traquer des canulars d’une telle insignifiance est insultant. Pourquoi ne pas traquer les fausses nouvelles rapportées régulièrement par les médias, celles qui ne sont rien d’autre que de la propagande de guerre et qui, elles, ont de graves conséquences?
Les mercenaires de Kadhafi : vie et mort-vivance d’une fausse rumeur
Rappelons par exemple la rumeur des tristement célèbres « mercenaires de Kadhafi ».
Le 21 février 2011, on rapporte des tirs et des bombardements de l’armée libyenne sur des civils. Le lendemain, France 24 interview Geneviève Garrigos, présidente d’Amnistie internationale France. Mme Garrigos affirme qu’ils ont reçu des informations concernant la présence de mercenaires étrangers parmi les troupes libyennes « justement pour accélérer le processus de répression ».
Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1973 imposant une zone d’interdiction de vol dans le ciel libyen. La résolution a été pilotée par Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères français à l’époque.
Le 19 mars une intervention militaire menée par l’OTAN est lancée afin de mettre en œuvre la résolution 1973, « autorisant toutes les mesures nécessaires afin de protéger les civils ».
Cinq mois plus tard, de la bouche même de Mme Garrigos, on apprend que cette histoire de mercenaires était une fausse rumeur :
Dès la mise en œuvre des troupes anti-Kadhafi, on a eu rumeurs de mercenaires qui agiraient à la solde de Kadhafi […] Aujourd’hui, force est de constater qu’on n’a pas de preuves concrètes d’utilisation de forces mercenaires par Kadhafi.
L’intervieweur demande à Mme Garrigos : « Votre collègue dit également qu’elle n’a pas vu du tout de mercenaires et que tout ceci est une légende colportée par les médias. Est-ce que vous confirmez cette information? »
« ABSOLUMENT », répond-elle.
La société d’État a-t-elle colporté cette légende sur les mercenaires de Kadhafi?
ABSOLUMENT.
Il existe une tonne de textes publiés par Radio-Canada qui mentionnent les « mercenaires africains » à la solde de Kadhafi.

Seriez-vous surpris d’apprendre que les suspects habituels — les services de renseignement des États-Unis — étaient une source de ces rumeurs?
On peut lire dans l’article de Radio-Canada du 10 mars 2011, Paris reconnaît le Conseil national de transition libyen :
Selon le New York Times, le colonel Kadhafi disposerait cependant de « dizaines de milliards » de dollars en liquide cachés à Tripoli, ce qui lui permet de payer grassement les militaires et les mercenaires qui combattent à son profit.
Selon une source du service de renseignement américain, le régime de Kadhafi a embauché de 3000 à 4000 mercenaires africains qui sont payés chacun 1000 $ par jour. Ils viendraient du Mali, du Niger et du Soudan.
Le 13 septembre 2011, Radio-Canada mentionnait au passage dans l’article Libye : les ex-rebelles ont commis des crimes, selon Amnistie que cette histoire de mercenaires n’était qu’une fausse rumeur :
Pas de mercenaires africains
Le directeur du bureau des institutions européennes à Amnistie internationale, Nicolas Beger, a précisé lundi que la rumeur voulant que Kadhafi ait engagé des Africains noirs comme mercenaires était fausse.
Peu importe.
Le 11 novembre 2011, dans un autre article de Radio-Canada, une photo montrant un Noir avec une mitraillette chapeautait l’article suivant, L’ONU s’inquiète du recours croissant aux mercenaires dans le monde. La légende qui accompagne la photo dit ceci : « Selon l’ONU, des mercenaires ont été recrutés en Libye par Mouammar Kadhafi et en Côte d’Ivoire par Laurent Gbagbo. »
L’article de Radio-Canada donne un lien vers une dépêche de l’ONU du 1er novembre 2011, Des experts de l’ONU alarmés par la multiplication des activités de mercenaires, où l’on peut lire :
En Libye, des combattants étrangers ont participé à la répression de manifestations pacifiques. Ces mercenaires sont, selon les informations disponibles, originaires de pays voisins en Afrique ou d’Europe de l’est.
On ne donne pas de lien vers un rapport où seraient détaillées « les informations disponibles ». En cherchant « un petit cinq secondes », comme le suggère Jeff Yates, on trouve une liste des rapports du Groupe de travail de l’ONU sur l’utilisation des mercenaires cité dans la dépêche.
En date du 1er novembre 2011, leur plus récent rapport concernant les mercenaires en Libye avait été publié le 22 août 2011, c’est-à-dire environ un mois avant qu’Amnistie internationale ne confirme que l’histoire des mercenaires était une fausse rumeur. Tous les rapports publiés subséquemment par le groupe ne traitent pas la Libye. La dépêche du 1er novembre de l’ONU a donc totalement ignoré les plus récentes « informations disponibles » selon lesquelles Kadhafi n’avait pas engagé de mercenaires.
Par ailleurs, on peut constater dans le rapport du 22 août 2011 que les « informations disponibles » sont de simples allégations et non pas des preuves, comme le démontre ce paragraphe parmi tant d’autres :
En février 2011, des citoyens libyens ont organisé des manifestations pacifiques […] Quelques semaines plus tard, certaines sources [le renseignement étasunien?] indiquaient que les autorités libyennes faisaient appel à des mercenaires étrangers pour écraser les manifestations. Le Groupe de travail a constaté que cette utilisation présumée de mercenaires […] par le Gouvernement libyen rompt avec les pratiques […] énoncées dans la Convention internationale […] adoptée par l’Assemblée générale en 1989. (Rapport du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, p.6)
On indique également qu’une Commission internationale d’enquête a été créée par le Conseil des droits de l’homme en mars 2011, laquelle a conclu « qu’on ne savait pas bien si ces ressortissants étrangers pouvaient être qualifiés de « mercenaires ».
Souscrivant à cette constatation, le Groupe de travail estime qu’un complément d’information est nécessaire […] Il ignore par exemple si lesdits ressortissants étrangers résidaient en Jamahiriya arabe libyenne avant d’être recrutés par le Gouvernement, s’ils ont été engagés dans le cadre d’un échange militaire existant, à quel moment ils ont été recrutés et dans quel but. (Ibid. p. 7)
Notons que TOUT le chapitre concernant l’utilisation de mercenaires en Libye dans ce rapport se base sur des informations obtenues entre le 22 février et le 17 mars 2011, soit plusieurs mois avant que cette histoire de mercenaire soit démentie et qualifiée de fausse rumeur.
Peu importe, le Centre d’actualités de l’ONU a continué de la propager et celle-ci a de nouveau été colportée par Radio-Canada.
Une guerre pour redorer l’image d’Obama et de Sarko
Classiques de la propagande de guerre, les faux récits de massacres de civils ont été essentiels à la préparation de l’intervention militaire en Libye. En septembre 2016, le Parlement britannique a conclu dans un rapport sur l’intervention en Libye qu’il n’y avait pas de preuves que des massacres de civils à grande échelle avaient eu lieu :
La proposition selon laquelle Mouammar Kadhafi aurait ordonné le massacre de civils à n’a pas été étayée par des preuves. Le régime de Kadhafi avait repris les villes des rebelles sans attaquer les civils au début de février 2011 […] Les forces du régime de Kadhafi ont ciblé des combattants masculins dans une guerre civile et n’ont pas attaqué de manière indiscriminée les civils. De manière plus générale, le bilan de 40 ans d’horribles atteintes aux droits de l’homme Mouammar Kadhafi ne comprend pas d’attaques à grande échelle contre des civils libyens. (House of Commons Foreign Affairs Committee, Libya: Examination of intervention and collapse and the UK’s future policy options, 14 septembre 2016, p.14.)
Le rapport britannique comporte des révélations sur Nicolas Sarkozy, lesquelles, à moins que je me trompe, ont été ignorées par Radio-Canada. Selon un document obtenu par la loi d’accès à l’information relatant une conversation entre Sidney Blumenthal, conseiller de la secrétaire d’État étasunienne de l’époque Hillary Clinton, et l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ce dernier avait les motifs suivants pour intervenir en Libye :
- Le désir de se tailler une part plus importante de la production de pétrole libyenne
- Accroître l’influence française en Afrique du Nord
- Améliorer sa situation politique en France
- Offrir à l’armée française la chance de réaffirmer sa position dans le monde
- Aborder les inquiétudes de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi visant à remplacer la France comme puissance dominante en Afrique francophone. (Ibid. p.11)
Parmi les motifs de Sarkozy, notons que « protéger les civils » brille par son absence.

La publication des courriels de Hillary Clinton en 2016 offre également un éclairage scandaleux sur les véritables raisons de l’intervention en Libye. Le HuffPost rapportait en 2016 que dans un de ces courriels, Sidney Blumenthal « insiste sur l’importance de faire pression jusqu’à la victoire finale [en Libye] » surtout dans le but de « faire monter le taux d’approbation anémique de Barack Obama », mais aussi dans le but d’instaurer la sécurité en Afrique du Nord, de sécuriser la démocratie en Égypte et en Tunisie, de favoriser le développement économique […] d’accroître l’influence des États-Unis », etc.
Encore là, aucune raison humanitaire.
En résumé, l’intervention en Libye était basée sur de fausses nouvelles de massacres et de « mercenaires à la solde de Kadhafi ». Elle comportait une série d’objectifs stratégiques, incluant l’amélioration de l’image des présidents des États-Unis et de la France, et excluant la protection de civils.
Agnès Gruda de La Presse nous avait pourtant dit qu’il fallait se porter à la défense des Libyens car le « tyran de Tripoli […] massacr[ait] son peuple »!
Eh ben! On s’est fait avoir solide hein?
C’est probablement l’une des plus grandes escroqueries de notre temps. Inutile de dire qu’elle a eu des conséquences dévastatrices pour les soi-disant mercenaires africains de Kadhafi, qui n’étaient apparemment que des travailleurs migrants.
Kadhafi avait une politique de « porte ouvertes » envers les migrants africains, autant arabes que sub-sahariens, lesquels étaient nombreux à aller chercher du travail en Libye.
Dans Understanding Migrant Decisions From Sub-Saharan Africa to the Mediterranean Region, publié en 2016 et rédigé par deux spécialistes de la politique internationale, on trouve de nombreux témoignages de ces migrants décrivant leur expérience positive dans la Libye de Kadhafi, où ils avaient la possibilité de trouver du travail et d’appuyer financièrement leurs familles dans leur pays d’origine. (Extraits disponibles sur Google Books.)
Aujourd’hui, les Noirs sont vendus dans des « marchés au esclaves ».

Merci Sarko! L’influence française en Afrique réaffirmée, on retourne aux coutumes d’antan.
Jeff Yates, « spécialiste de la désinformation sur le web », où étais-tu quand on avait besoin de toi?
Suggestion : parle-nous de la Syrie la prochaine fois. Le niveau de désinformation est phénoménal et, par chance, il reste du temps pour éviter de (re)dorer l’image de Trump.
Excellent article. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, et Dieu ramène ce qui est passé comme le Roi Salomon disait. L’Irak, l’Afghanistan, ect. Juste pour le pétrole. C’est quoi les questions que je dois me poser quand je lis un article s’il te plaît?
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Bonne question! Il y en a plein. Il faut lire Chomsky avant de vraiment pouvoir lire les nouvelles et voir toute la désinformation sous toutes ses formes.
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