L’article « L’interférence russe et le silence de Donald Trump » de Christian Latreille publié par Radio-Canada le 20 février dernier est un cas exemplaire de fausse nouvelle propagée par les grands médias.
Le langage utilisé par M. Latreille tout au long de l’article laisse entendre que les autorités russes ont interféré dans les élections étasuniennes. Or, rien n’est plus faux.
M. Latreille écrit :
« Les Russes semblent bel et bien avoir tenté d’influencer l’élection présidentielle de novembre 2016. Les accusations portées par le FBI, vendredi, contre 13 individus et trois entités en Russie laissent très peu de place au doute. »
Quiconque a lu le rapport ne peut que penser le contraire. Le doute est encore plus présent qu’avant la publication du rapport, puisque aucune accusation ne vise « les Russes », c’est-à-dire le gouvernement russe, comme le suggère M. Latreille.
Tout au long de l’article, Christian Latreille emploie ce terme, « les Russes » :
« … les Russes sont prêts à frapper à nouveau. »
« … les Russes préparaient déjà leurs attaques contre la démocratie américaine. »
« L’acte d’accusation du procureur spécial Robert Mueller révèle le niveau de sophistication et la détermination des Russes à faire déraper la campagne d’Hillary Clinton. »
Si dans les articles journalistiques portant sur les Jeux Olympiques le terme « les Russes » fait implicitement référence aux athlètes russes, dans ceux traitant de la politique internationale, ce terme fait implicitement référence aux autorités russes. Tout le monde sait cela et il est impensable que M. Latreille, qui exerce depuis très longtemps le métier de journaliste, l’ignore.
Le journaliste accuse donc les autorités russes d’avoir interféré dans les récentes élections présidentielles étasuniennes et cela est d’autant plus évident lorsqu’il insinue que l’opération a été menée par « une puissance étrangère » et que le président russe est impliqué dans l’affaire :
« Il [Donald Trump] semble également incapable de critiquer la Russie de Vladimir Poutine pour son interférence dans le système électoral américain. »
« Mais le président fait preuve d’une étonnante timidité face à une puissance étrangère qui a réussi à contourner la CIA, le FBI et la NSA pour s’inviter dans la campagne présidentielle. »
Il s’agit d’une grave erreur factuelle de la part de M. Latreille puisque les individus et les organisations accusés dans le rapport Mueller n’ont aucun lien avec les autorités russes et le nom de Vladimir Poutine n’y figure nulle part. Ce ne sont pas les autorités russes qui sont en cause, ni des organisations gouvernementales russes, encore moins les services de renseignement russes, mais bien des individus et des organisations russes. Ce sont « des Russes » et non « les Russes ». La différence est énorme et il est faux de dire que « les Russes » ont interféré dans le processus électoral étasunien en se basant sur le rapport Mueller.
De deux choses l’une : ou M. Latreille n’a pas lu le rapport Mueller cité dans le lead de son article et il ne fait que répéter la propagande antirusse des grands médias étasuniens, ou il a lu le rapport et induit volontairement le lecteur en erreur.
Dans les deux cas, il y a manquement à l’éthique journalistique, plus précisément à l’Article 3 du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec :
« 3. Vérité et rigueur
3 a) Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. Ils doivent corriger leurs erreurs avec diligence et de façon appropriée au tort causé. »
M. Latreille évoque par ailleurs le « niveau de sophistication et la détermination des Russes à faire déraper la campagne d’Hillary Clinton». Là encore, fausse nouvelle.
Les organisations en cause, principalement Internet Research Agency (IRA), ont essentiellement acheté et vendu des publicités et publié du contenu publicitaire sur les médias sociaux en utilisant de faux noms (wow, utiliser des faux noms sur les médias sociaux, c’est d’un niveau de sophistication remarquable!).
Les données révélées par Facebook et les publicités présentées comme preuves par le FBI témoignent plutôt d’une opération commerciale médiocre.
D’abord, outre les élections présidentielles, les publicités en question touchaient divers sujets comme Black Lives Matter, LGBTQ, les vétérans, la sécession du Sud, l’Islam etc. Plus souvent qu’autrement, l’organisation a publié des annonces appuyant les deux côtés d’une même lutte comme le démontrent ces deux publicités, l’une en faveur du mouvement Black Lives Matter, l’autre contre :
Vous trouverez d’autres exemples sur le site du Parti démocrate U.S. House of Representatives Permanent Select Committee on Intelligence.
Par ailleurs, le FBI cite dans son rapport des publicités achetées par l’organisation et portant sur des rassemblements organisés en appui à Hillary Clinton :
« 63. Le 24 juin 2016 ou vers cette date, les défendeurs et leurs coconspirateurs ont acheté de la publicité sur Facebook afin de promouvoir le rassemblement “Appuyons Hillary. Sauvons les musulmans étasuniens”. »
Les accusés ont également fait la promotion de manifestations anti-Trump en novembre : « Trump n’est PAS mon président » et « Charlotte contre Trump », comme l’a rapporté le New York Times.
Le 2 octobre, Elliot Schrage, vice-président des politiques et communications de Facebook a publié des faits éclairants sur les publicités mises en cause dans le rapport Mueller. Ces données, dont voici un extrait, vont à l’encontre de l’idée voulant que l’opération publicitaire était sophistiquée et qu’elle visait d’emblée à faire déraper la campagne de Clinton :
- 56 % des affichages (nombre de fois où les publicités sont parues) ont eu lieu après les élections.
- Environ 25 % des publicités n’ont jamais été montrées à qui que ce soit.
- Pour 50 % des annonces, moins de 3 $ ont été dépensés.
- Environ 1 % des annonces utilisaient un type spécifique de ciblage personnalisé […] Aucune des annonces n’a utilisé un autre type de ciblage d’audience personnalisée basé sur des informations personnelles telles que les adresses e-mail.
- Sur les plus de 3 000 annonces que nous avons partagées avec le Congrès, 5 % sont apparues sur Instagram. Environ 6 700 $ ont été dépensés pour ces publicités.
Force est de constater qu’une opération sophistiquée visant à influencer les élections et faire déraper la campagne d’Hillary Clinton aurait acheté de la publicité avant les élections, non après, elle n’aurait pas investi des sommes aussi dérisoires, elle aurait ciblé davantage son auditoire et elle n’aurait pas saboté ses propres efforts en organisant des rassemblements contre Trump et en faveur de Clinton.
Tout cela s’ajoute au fait que de nombreuses publicités et publications étaient visiblement écrites par des allophones utilisant des expressions que même l’Étasunien le moins éduqué pouvait facilement repérer, comme « Hillary is a Satan ».
Comme tentative de faire déraper la campagne de Clinton, difficile de faire pire.
Quiconque a pris la peine de lire le rapport en entier et de regarder les publicités en question, comme l’a fait l’auteure de ces lignes, ne peut en venir qu’à une seule conclusion : les accusés, des individus russes, ont profité des élections étasuniennes pour monter une opération publicitaire illégale de très piètre qualité.
Si l’on se fie à Christian Latreille, l’enquête du FBI a permis de découvrir une impressionnante opération clandestine dirigée par le Kremlin « ayant réussi à contourner la CIA, le FBI et la NSA », alors qu’en réalité, elle « révèle » les activités apparemment quotidiennes d’une « usine à troll » bien connue ayant fait l’objet de reportages dans les médias russes depuis 2013, comme l’explique le journaliste Andrey Zakharov en entrevue au Washington post.
Christian Latreille devrait donc apporter les corrections suivantes à son article afin qu’il reflète la réalité et non pas la propagande antirusse des grands médias étasuniens :
- remplacer l’emploi du terme « les Russes » par d’autres termes désignant clairement des individus russes, non pas le gouvernement russe;
- redéfinir l’opération citée dans le rapport Mueller en des termes plus appropriés.
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Une plainte formelle sera envoyée à l’ombudsman de Radio-Canada sous peu.
10/10
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