Plainte au Conseil de presse contre François Cardinal et La Presse

Image: Anthony Freda

Voici la plainte envoyée au Conseil de presse en juillet dernier. Elle comprend la réplique de Patrick Bourbeau que j’ai critiquée ici: La Presse n’a pas de preuves de «l’attaque au gaz sarin du dictateur syrien».

Vous pouvez lire la réplique de François Cardinal, laquelle est essentiellement la réplique de Patrick Bourbeau, ici: Réplique de François Cardinal au Conseil de presse

Sàmara, Guanacaste, Costa Rica, le 7 juillet 2017

Objet : Plainte relative à l’éditorial de François Cardinal, Derrière Trump, l’ombre d’Obama, publié le 8 avril 2017

Mme Paule Beaugrand-Champagne, Secrétaire général par intérim, Conseil de presse du Québec 1000, rue Fullum, bureau A.208 Montréal (Québec) H2K 3L7

Madame,

Le 8 avril dernier, La Presse publiait un éditorial de François Cardinal intitulé Derrière Trump, l’ombre d’Obama, dans lequel il déclarait sans équivoque que l’attaque de Khan Cheikhoun en Syrie le 4 avril était l’œuvre du « dictateur syrien ».

« Mais soyons honnêtes, si le président américain a dû réagir à l’attaque au gaz sarin du dictateur syrien, c’est que son prédécesseur avait choisi de ne pas agir en pareille situation […]

C’est donc les États-Unis qui étaient provoqués une fois de plus, en début de semaine, lorsqu’une bombe bourrée de sarin a été larguée sur Khan Cheikhoun, tuant 86 civils dans d’atroces douleurs […]

Il a suffi que l’administration Trump déclare qu’elle ne faisait plus du départ du président syrien une priorité pour que ce dernier, fort de l’appui de Vladimir Poutine, se croie tout permis. Incluant l’utilisation renouvelée d’armes chimiques. »

Au moment où il écrivait son éditorial, soit 4 jours après les faits, rien ne prouvait qu’il s’agissait bien d’une attaque au gaz sarin et encore moins qui en était responsable. Les grands médias internationaux parlaient d’ailleurs d’attaques « présumées ».

En mai dernier, CNN a même publié de nouvelles photos de « l’attaque au gaz sarin d’Assad » en précisant qu’il s’agissait d’allégations : « But shortly before 7:00 a.m. on the first Tuesday in April, witnesses say government jets bombed the town, the strikes releasing a poisonous gas that would kill 92 people in all. »

Que CNN ait choisi d’écrire « des témoins affirment », plutôt que d’évoquer les rapports des services de renseignement américain et français publiés quelques semaines avant, en dit long sur la rigueur et la validité de ces rapports, lesquels prétendent démontrer la culpabilité du gouvernement syrien. Theodore Postol, professeur émérite du Massachussetts Institute of Technology et spécialiste des missiles balistiques a d’ailleurs démontré que ces rapports ne prouvaient en rien la culpabilité du gouvernement syrien (évaluation du rapport américain – une correction a été apportée le 23 avril –, évaluation du rapport français).

L’éditorialiste en chef de La Presse a donc présenté de pures allégations comme des faits accomplis, manquant ainsi à son devoir de rigueur et d’exactitude.

En répondant à ma plainte, Patrick Bourbeau, directeur des Affaires juridiques de La Presse n’a fait que confirmer ces manquements à l’éthique journalistique. Il affirme que M. Cardinal s’est basé sur des témoignages pour étayer son point de vue.

Premièrement, tous ces témoignages ou presque proviennent de chefs d’État ou de responsables officiels ayant un parti pris dans cette guerre et souhaitant ouvertement le renversement de Bachar Al-Assad, président élu démocratiquement faut-il le rappeler. Dans un tel contexte, ces témoignages devraient être mis en doute par les journalistes et non pas pris pour des vérités absolues et utilisés comme preuves. Les droits et responsabilités de la presse sont clairs au sujet des tentatives de manipulation de l’information :

Il est aussi de la responsabilité des entreprises de presse et des journalistes de se montrer prudents et attentifs aux tentatives de manipulation de l’information. Ils doivent faire preuve d’une extrême vigilance pour éviter de devenir, même à leur insu, les complices de personnes, de groupes ou d’instances qui ont intérêt à les exploiter pour imposer leurs idées ou encore pour orienter et influencer l’information au service de leurs intérêts propres, au détriment d’une information complète et impartiale.

Deuxièmement, j’ai clairement affirmé dans ma plainte à La Presse que M. Cardinal a droit à son point de vue lorsqu’il écrit des éditoriaux. Cette liberté éditoriale n’inclut toutefois pas la liberté de transformer des allégations en faits, allégations par ailleurs hautement douteuses dans un contexte de propagande de guerre qui dure depuis plusieurs années.

M. Bourbeau évoque également des attaques commises en 2013 pour tenter de démontrer que les attaques de Khan Cheikhoun ont été commises par le gouvernement syrien. Or, il est clairement écrit dans le rapport de l’ONU sur diverses attaques de 2013 « nous concluons que des armes chimiques ont été utilisées dans le conflit en cours entre les parties en République arabe syrienne » (p.2). Les « rebelles » ont donc utilisé ce type d’armes en 2013 selon ce rapport qui cite, à trois reprises, des soldats de l’armée syrienne comme étant les victimes d’attaques à l’arme chimique (à Khan el-Assal le 19 mars, à Jobar le 24 août et à Achrafiyat Sahnaya le 25 août). Le rapport ne blâme d’ailleurs aucune des deux parties et ne fait que confirmer que des armes chimiques ont été utilisées. (Voir Seymour Hersh Who’s Sarin pour plus de détails.)

La justification de M. Bourbeau n’a donc aucune valeur : on pourrait aussi bien affirmer que l’attaque de Khan Cheikhoun a été commise par les forces anti-gouvernementales puisqu’ils ont utilisé des armes chimiques en 2013. Seule une enquête indépendante pourra établir qui a commis les attaques de Khan Cheikhoun et quelles armes ont été employées.

Depuis le jour des attaques de nombreuses voix se sont élevées pour remettre en question la version disons occidentale des faits. Ces voix ne proviennent pas uniquement du camp pro-Assad, mais aussi de vétérans des services de renseignement et d’anciens responsables gouvernementaux américains.

Récemment, le journaliste de renom Seymour Hersh a publié une conversation entre un conseiller en sécurité et un militaire américain basé en Syrie, lesquels mentionnent en des termes très clairs que le renseignement sur les attaques est catégorique et que le gouvernement syrien n’a pas lancé de bombe au gaz sarin sur Khan Cheikhoun. Cette conversation corrobore la version des faits des vétérans du renseignement qui s’étaient exprimés dans la foulée des événements.

En entrevue à The Real News le 27 juin dernier, Hersh était catégorique : le gouvernement syrien n’a jamais lancé de bombe au sarin sur Khan Cheikhoun et tout le haut commandement américain le sait. Il a publié un long article à ce sujet dans le quotidien allemand Die Welt.

En terminant, en présentant les attaques de Khan Cheikhoun comme l’œuvre du « dictateur syrien » et les frappes illégales des États-Unis en réponse à ces attaques comme étant justifiées, François Cardinal ne fait pas du journalisme, il fait ce qui s’apparente à de la propagande de guerre. Que le gouvernement syrien ait lancé une bombe au sarin ou non, les bombardements américains du 7 avril étaient illégaux et aux yeux du droit américain et aux yeux du droit international.

La propagande de guerre est illégale selon l’Article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies en 1976 et dont le Canada est signataire.

Presque 3 mois après les attaques, rien ne démontre que « l’attaque au gaz sarin du dictateur syrien », comme la décrivait François Cardinal, n’a eu lieu. M. Cardinal devrait donc se rétracter.

Vous trouverez ci-dessous ma plainte à La Presse ainsi que la réponse de M. Bourbeau.

Je vous prie d’agréer, Madame, mes salutations distinguées.

Julie Lévesque

Plainte à La Presse

Wuxi, Jiangsu, Chine, 2 mai 2017

Objet : Plainte relative à l’éditorial de François Cardinal Derrière Trump, l’ombre d’Obama, publié le 8 avril dernier

Éric Trottier, Vice-président à l’information – Éditeur adjoint, La Presse 750, boul. Saint-Laurent Montréal, Québec, Canada H2Y 2Z4

Monsieur,

Dans son éditorial du 8 avril dernier, Derrière Trump, l’ombre d’Obama, François Cardinal affirme sans équivoque que Bachar Al-Assad est responsable d’une attaque au gaz sarin menée à Khan Cheikhoun le 4 avril :

« Mais soyons honnêtes, si le président américain a dû réagir à l’attaque au gaz sarin du dictateur syrien, c’est que son prédécesseur avait choisi de ne pas agir en pareille situation […]

C’est donc les États-Unis qui étaient provoqués une fois de plus, en début de semaine, lorsqu’une bombe bourrée de sarin a été larguée sur Khan Cheikhoun, tuant 86 civils dans d’atroces douleurs […]

Il a suffi que l’administration Trump déclare qu’elle ne faisait plus du départ du président syrien une priorité pour que ce dernier, fort de l’appui de Vladimir Poutine, se croie tout permis. Incluant l’utilisation renouvelée d’armes chimiques. »

Or, au moment où M. Cardinal écrivait ces lignes, il n’existait aucune preuve que Bachar Al-Assad était responsable d’une attaque au gaz sarin ni qu’il s’agissait d’une telle attaque. Il s’agissait d’allégations provenant de divers groupes impliqués dans le conflit, entre autres :

  • les White Helmets, un groupe fondé par James Le Mesurier, ancien officier du renseignement militaire, et comptant parmi ses sources de financementle UK Foreign and Common Wealth Office, l’Agence de développement international des États-Unis (USAID) et le gouvernement allemand;
  • l’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé à Londres, et dont les liens avec le gouvernement britannique sont bien documentés;
  • la Maison-Blanche.

Puisque ces allégations proviennent de groupes ayant un intérêt significatif dans le conflit – tous souhaitant depuis longtemps le départ de Bachar Al-Assad – elles doivent être prises avec précaution.

Non seulement M. Cardinal ne laisse planer aucun doute sur ces accusations sans preuves, il les présente comme des faits et, ce faisant, contrevient aux Articles 2 et 3 du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, lesquels stipulent que:

Les journalistes basent leur travail sur des valeurs fondamentales telles que l’esprit critique qui leur impose de douter méthodiquement de tout [et] l’honnêteté qui leur impose de respecter scrupuleusement les faits (Article 2);

Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. (Article 3 a)

M. Cardinal n’émet aucun doute sur ces allégations et n’a visiblement pas effectué de travail rigoureux de collecte et de vérification d’informations puisque le jour où il a écrit l’article, le 7 avril, les grands médias occidentaux rapportaient qu’il s’agissait bien d’allégations en parlant d’« attaques présumées » :

CNN: « Suspected gas attack »

BBC : « suspected chemical attack »

Deutsche Welle « suspected chemical weapons attack »

International Business Times: « suspected chemical weapons attack »

Par ailleurs, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Hans Blix, a bien expliqué en entrevue à Deutsche Welle qu’aucune preuve n’avait été présentée par les États-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU démontrant que le gouvernement syrien était responsable :

« Je ne sais pas s’ils ont présenté des preuves à Washington, mais je n’en ai pas vu au Conseil de sécurité », a dit Blix. « On nous a simplement montré des photos de victimes que le monde entier peut voir avec horreur. Ces photos ne prouvent pas nécessairement qui est responsable. »

Des experts ont mis en doute les allégations visant le gouvernement syrien et suggéré qu’il était probable que les rebelles djihadistes aient perpétré les attaques.

Philip Giraldi, ancien agent de la CIA, a déclaré que « la communauté du renseignement et le personnel militaire savent que ce n’était pas une attaque d’Assad » et « confirment la version des Russes » selon laquelle l’armée syrienne aurait bombardé un entrepôt dans lequel se trouvaient des produits** chimiques :

« Les renseignements confirment en grande partie la version qu’ont donnée les Russes […] soit qu’ils ont frappé un entrepôt où les rebelles […] stockaient leurs propres produits chimiques et qu’au fond cela a causé une explosion faisant des victimes. Il semblerait que les renseignements à cet effet soient très clairs. »

Cette information est corroborée par Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet de Colin Powell, lequel ajoute que les autorités américaines avaient été prévenues des bombardements de l’entrepôt par l’armée syrienne :

« En fait la plupart de mes sources – incluant des membres de l’équipe qui surveille les armes chimiques au niveau international, incluant des gens en Syrie et des membres de la communauté du renseignement étasunien – me disent que ce qui s’est fort probablement passé […] est qu’ils – c’est-à-dire les forces syriennes – ont frappé un entrepôt qu’ils avaient l’intention de frapper et qu’ils avaient avisé les deux côtés, la Russie et les États-Unis, qu’ils allaient le frapper.

Cet entrepôt contenait présumément de l’approvisionnement de l’EI et, en fait, il en contenait probablement, dont des précurseurs pour produits chimiques. Il est également possible que l’entrepôt contenait des phosphates servant de fertilisant pour la culture du coton dans la région adjacente. Les bombes — des bombes conventionnelles — auraient frappé l’entrepôt et leur puissance explosive accompagnée de forts vents aurait dispersé les ingrédients et tué des gens. »

Toutes ces informations semant le doute sur les allégations accusant le gouvernement syrien d’avoir utilisé des bombes au sarin étaient disponibles le 7 avril.

En tant qu’éditorialiste, M. Cardinal est libre de dire qu’il croit qu’Assad est responsable et qu’il s’agissait, selon lui, d’une attaque au gaz sarin. Il doit toutefois respecter les faits et informer les lecteurs qu’il s’agit d’allégations et de son opinion personnelle et non pas de faits avérés comme le laissent entendre ses formulations catégoriques.

En plus de constituer un manquement à l’éthique journalistique, l’éditorial s’apparente à de la propagande de guerre, interdite par le droit international. M. Cardinal insinue que des frappes militaires étaient nécessaire en disant que « le président américain a dû réagir à l’attaque ».

Ces frappes sont interdites par le droit international et le droit étasunien. La professeure émérite de droit Marjorie Cohn de la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild, et secrétaire générale adjointe de l’International Association of Democratic Lawyers, l’explique bien : l’utilisation de la force contre un État souverain est interdite sauf en cas « d’autodéfense suite à une attaque ou lorsqu’elle est approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU ».

En août 2013, Mary Ellen O’Connell, professeure de droit international à l’Université de Notre Dame avait clairement indiqué que « l’utilisation d’armes chimiques en Syrie ne constitue pas une attaque armée contre les États-Unis ».

« Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas approuvé l’attaque de Trump, donc elle viole la Charte des Nations Unies, » conclut Marjorie Cohn.

L’éditorialiste en chef d’un grand média comme La Presse ne peut pas se permettre de faussement représenter les faits. Est-ce qu’il le fait consciemment ou par négligence? S’il le fait consciemment, il fait de la propagande de guerre et « [t]oute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi, selon l’Article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies en 1976 et dont le Canada est signataire.

Rappelons ce passage du procès de Nuremberg :

Dans le système de propagande de l’État hitlérien, les armes les plus importantes étaient les quotidiens et la radio […] La méthode fondamentale des activités propagandistes nazies reposait sur la fausse représentation des faits […] – Texte officiel du Tribunal de Nuremberg

En temps de guerre, les grands médias doivent être extrêmement prudents et doivent s’assurer qu’ils ne servent pas d’armes dans des guerres illégales en présentant faussement les faits.

Si M. Cardinal a fait preuve de négligence, il a tout de même manqué à ses responsabilités. Les droits et responsabilités de la presse sont clairs à ce sujet :

Il est aussi de la responsabilité des entreprises de presse et des journalistes de se montrer prudents et attentifs aux tentatives de manipulation de l’information. Ils doivent faire preuve d’une extrême vigilance pour éviter de devenir, même à leur insu, les complices de personnes, de groupes ou d’instances qui ont intérêt à les exploiter pour imposer leurs idées ou encore pour orienter et influencer l’information au service de leurs intérêts propres, au détriment d’une information complète et impartiale.

À moins que je me trompe, il n’existe toujours aucune preuve de ce que votre chroniqueur annonçait comme des faits irréfutables. Le récent rapport du renseignement français comporte des erreurs selon le professeur émérite du Massachusetts Institute of Technology Theodore A. Postol, lequel a par ailleurs démontré que le rapport du renseignement étasunien publié le 11 avril ne contenait « aucune preuve […] que le gouvernement syrien était à l’origine de l’attaque à l‘arme chimique de Khan Cheikhoun ». (Une correction a été apportée le 23 avril.)

D’anciens vétérans des services de renseignement étasuniens ont d’ailleurs publié une note* le 26 avril concernant l’absence de preuves dans cette affaire. Ils dénoncent également la politisation du renseignement et soulignent que les États-Unis et leurs alliés ont bloqué une enquête approfondie de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques à la demande de la Syrie et de la Russie.

S’il ne fait aucun doute que Bachar Al-Assad est responsable, comme le laissait entendre François Cardinal, pourquoi les États-Unis et leurs alliés, qui prétendent avoir des preuves accablantes, ont-ils bloqué une enquête indépendante?

Vous écriviez récemment concernant le plagiat d’une de vos chroniqueuses :

Tous les codes déontologiques du monde du journalisme condamnent vigoureusement toute forme de plagiat ou de repiquage sans attribution. Le Guide des normes des journalistes de La Presse est également limpide à ce sujet.

Souhaitons que vous condamnerez vigoureusement le manque de rigueur, l’ignorance du droit international et les fausses nouvelles colportées par votre éditorialiste en chef. Le Guide de déontologie de la FPJQ, les droits et responsabilités de la presse et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont également limpides à ce sujet.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Julie Lévesque

*J’ai changé le terme « mémorandum » pour « note », traduction correcte de l’anglais « memorandum ».

**Dans la version originale j’ai utilisé par erreur le terme « armes » alors qu’il s’agissait évidemment de « produits » chimique comme l’indique la citation.

Réponse de La Presse à la plainte contre François Cardinal

Madame Lévesque,

Nous avons pris connaissance de votre courriel du 2 mai à l’intention de M. Éric Trottier. Dans ce courriel,  vous alléguez que François Cardinal a contrevenu au Guide de déontologie des journalistes du Québec en écrivant, dans un éditorial parue le 8 avril dernier, que Bachar Al-Assad est responsable d’une attaque au gaz sarin menée à Khan Cheikhoun le 4 avril 2017.

Bien que nous puissions certes débattre du régime Al-Assad, ce que La Presse a fait en publiant divers reportages et opinions sur le sujet au cours des derniers mois, il n’en reste pas moins que François Cardinal s’est appuyé sur un large éventail d’experts, de reportages et de témoignages pour rédiger sa prise de position.

On retrouve comme vous le dites, dans le lot, les Casques blancs, qui demeurent une référence sur le terrain malgré les réserves que vous citez. Et il y a l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont la voix compte malgré le fait qu’il soit basé à Londres. La comptabilisation des victimes qu’elle effectue depuis le début du conflit est d’ailleurs une référence.

Mais ces sources sont loin d’être les seules à affirmer que le régime Al-Assad est derrière l’attaque chimique de Khan Cheikhoun.

Par exemple, les gouvernements occidentaux comme la France et l’Allemagne, à mots à peine couverts, ont affirmé par la voix de leur chef d’État respectif que Bachar Al-Assad méritait le bombardement américain en raison de «son recours continu aux armes chimiques».

Plus directement, le Royaume-Uni a affirmé que «l’action américaine est une réponse appropriée à l’attaque barbare à l’arme chimique lancée par le régime syrien». Le chef de la diplomatie britannique, Boris Johnson, a même affirmé que «toutes les preuves que j’ai vues suggèrent que c’était le régime d’Assad (…) utilisant des armes illégales en toute connaissance de cause sur son propre peuple».

Cela va dans le même sens que les propos de la Turquie, qui a mené des autopsies sur trois des victimes en présence de représentants de l’OMS et de l’OIAC, et qui conclut au recours à des armes chimiques par le régime syrien.

Vous avez raison de dire que «ces allégations doivent être prises avec précaution», comme le sont les affirmations de tout groupe ayant des intérêts dans un débat public. C’est pourquoi il faut les croiser avec d’autres sources, témoignages et informations.

The Guardian, par exemple, a envoyé le premier journaliste d’un média occidental sur les lieux de l’attaque, Kareem Shaheen. Il précise dans ses textes et sur les réseaux sociaux que «la seule trace de ce qu’il s’est passé est (un) petit cratère noirci près de la partie nord de la ville, où le missile qui transportait l’agent toxique est tombé.» Cela lui permet de remettre en question la version officielle de la Syrie, qui évoque une bombe tombée sur un bâtiment qui abritait une usine de gaz chimique tenue par des rebelles. Le journaliste a constaté qu’autour du cratère où a explosé le missile, «il n’y avait rien d’autre qu’un espace délaissé couvert de poussière et des silos à moitié détruits puant la céréale oubliée et le fumier». «Il n’y avait pas de zone de contamination autour d’un bâtiment. La zone de contamination s’était construite autour du trou dans la route», a-t-il précisé.

Cela corrobore les évaluations de nombreux experts qui prétendent que la version officielle syrienne est «impossible».

Une telle hypothèse «est complètement fantaisiste, elle prêterait à rire si la situation n’était pas aussi dramatique», a dit à l’AFP Olivier Lepick, un chercheur français associé à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. «Si d’aventure on avait touché un entrepôt, il pourrait y avoir formation d’un nuage toxique, simplement vous n’avez jamais une aérosolisation aussi efficace que celle qui a été constatée sur le terrain.» Selon lui, la forte dissémination dans l’atmosphère d’un agent mortel, comme cela a été constaté à Khan Cheikhoun, constitue ce que les experts appellent «aérosolisation», ce qui prouve que «c’est de toute évidence une arme chimique militaire qui a été utilisée.»

Un autre expert, Hamish de Bretton-Gordon, colonel à la retraite et ancien chef de l’unité britannique de lutte contre les armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques est arrivé à la même conclusion, après avoir été en contact avec les médecins syriens sur le terrain. «L’hypothèse d’un stock de sarin détenu par Al Qaïda ou des rebelles détruit par une explosion est tout à fait fausse et ne tient pas la route», a-t-il indiqué à la BBC.

C’est avec toutes ces informations réunies que Le Figaro, par exemple, écrivait le 7 avril que «les chancelleries occidentales et experts imputent au pouvoir syrien» l’attaque de Khan Cheikhoun.

Ces reportages, expertises et prises de position officielles s’appuient sur des témoignages. Ils s’appuient aussi sur divers éléments passés qui renforcent la thèse d’une utilisation d’agents chimiques par le régime Al-Assad.

Human Rights Watch, par exemple, a soutenu que depuis la fin 2016, le gouvernement syrien a recours aux armes chimiques de manière plus systématique et généralisée.

Cela concorde avec le rapport reçu en octobre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies qui conclut que l’armée syrienne a mené en mars 2015 dans la province d’Idleb une attaque à l’arme chimique, sans doute du chlore.

En août 2013, Damas avait aussi été accusée d’avoir utilisé du gaz sarin dans une attaque contre des secteurs rebelles en périphérie de la capitale qui avait fait plus de 1 400 morts. Il est intéressant de noter que Bachar al-Assad avait nié, accusant à plusieurs reprises les groupes djihadistes d’avoir utilisé ces armes chimiques.

Enfin, notons que la Maison-Blanche a dévoilé le 11 avril un rapport des services secrets qui se disent «sûrs» (confident) que l’attaque a été menée par le régime syrien.

À la fin avril, les services de renseignement français ont affirmé que l’analyse des composants neurotoxiques utilisés dans le bombardement au gaz sarin de la localité de Khan Cheikhoun «porte la signature du régime». Pour arriver à une telle conclusion, ils ont analysé le sarin prélevé à Khan Cheikhoun, puis ils l’ont comparé avec des prélèvements réalisés par la France après une attaque de 2013 imputée au régime à Saraqeb. «Nous sommes en mesure de confirmer que le sarin employé le 4 avril est le même sarin que celui qui a été employé dans une attaque intervenue à Saraqeb le 29 avril 2013», a déclaré le premier ministre Jean-Marc Ayrault.

Et Human Rights Watch a déposé un rapport le 1er mai qui s’appuie sur des preuves que le régime syrien a utilisé des agents neurotoxiques à au moins quatre reprises au cours des derniers mois, notamment lors de l’attaque contre la ville de Khan Cheikhoun.

Quant à l’affirmation selon laquelle l’éditorial de François Cardinal «s’apparente à de la propagande de guerre», ce n’est tout simplement pas le cas.

Veuillez agréer, Mme Lévesque, l’expression de nos salutations les meilleures.

Patrick Bourbeau

PATRICK BOURBEAU

Directeur, Affaires juridiques

Tél.: 514 285-6072 | Fax. 514 285-7331

750, boul. Saint-Laurent, Montréal H2Y 2Z4

pbourbeau@lapresse.ca | lapresse.ca 

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